21 janvier 2008 Décision : CEPMB-07-D1-THALOMID Requête – Demande d'ordonnance du Conseil (Rapports exigés par la Loi)
DANS L'AFFAIRE DE la Loi sur les brevets, S. R.C. 1985, c. P-4,
dans sa version modifiée
ET DANS L'AFFAIRE DE Celgene Corporation (l'« intimée »)
et de son médicament « Thalomid »
Introduction
1. La présente procédure porte sur une requête déposée par le personnel du Conseil en vertu des articles 81 et 88 de la Loi sur les brevets (la « Loi ») aux fins d'obliger Celgene Corporation (« Celgene » ) à soumettre au Conseil les renseignements que les titulaires de brevets pour les médicaments brevetés vendus au Canada doivent soumettre au Conseil en application des articles 80 et 88 de la Loi et des articles 3, 4 et 5 du Règlement sur les médicaments brevetés, 1994 (le « Règlement »).
2. Le paragraphe 81(1) de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit :
81. (1) Le Conseil peut, par ordonnance, enjoindre le breveté ou l'ancien titulaire du brevet de lui fournir les renseignements et les documents sur les points visés aux alinéas 80(1)a) à e), dans le cas du breveté, ou, dans le cas de l'ancien breveté, aux alinéas 80(2)a) à e) ainsi que sur tout autre point qu'il précise.
3. L'alinéa 80(1)(b) de la Loi sur les brevets prévoit ce qui suit :
80. (1) Le breveté est tenu de fournir au Conseil, conformément aux règlements, les renseignements et documents sur les points suivants :
… (b) le prix de vente – antérieur ou actuel – du médicament sur les marchés canadien et étranger …
4. Celgene est le titulaire de trois brevets canadiens liés au médicament Thalomid dont l'ingrédient actif est la thalidomide. La thalidomide, un antiémétique, a été prescrite pour la première fois aux femmes enceintes au début des années 1960. Des recherches ultérieures ont démontré que la thalidomide pouvait traiter avec efficacité des patients souffrant de différentes maladies, dont certains n'avaient aucune autre avenue de traitement. Au Canada, le médicament Thalomid est distribué depuis 1995. Il s'est révélé tout particulièrement efficace pour ralentir la progression du myélome multiple, une forme de cancer.
5. Le Conseil est investi du mandat de protéger les intérêts des acheteurs dans une situation où le titulaire d'un brevet lié à un médicament pourrait exercer un monopole. Le titulaire d'un brevet canadien lié à un médicament vendu au Canada est assujetti à la compétence du Conseil, en vertu de laquelle il doit faire rapport au Conseil de l'information concernant le prix auquel il a vendu son médicament breveté sur un marché au Canada. Le Conseil compare ce prix aux prix des médicaments de comparaison ainsi qu'aux prix auxquels le médicament est vendu dans les pays de comparaison afin de déterminer si le prix du médicament sous examen est ou non excessif. En consultation avec ses intervenants, à savoir l'industrie, les gouvernements et les consommateurs, le Conseil a formulé des lignes directrices que suivent les brevetés et les membres du personnel du Conseil afin que les prix au Canada des médicaments brevetés ne soient pas excessifs (les « Lignes directrices).
6. Le personnel du Conseil cherche à obtenir les prix auxquels Celgene a vendu son médicament Thalomid aux différents acheteurs canadiens afin de déterminer si ces prix sont ou non excessifs aux termes de ses Lignes directrices. Selon Celgene, le Conseil n'a pas compétence sur les ventes de son médicament Thalomid et, par conséquent, s'objecte à fournir au personnel du Conseil l'information sur les prix qu'ont payés les acheteurs canadiens.
7. Celgene soutient que le Conseil n'a pas compétence sur le prix du médicament Thalomid pour les deux motifs suivants :
i. Le médicament Thalomid a toujours été vendu à des acheteurs au Canada en vertu du « Programme d'accès spécial» de Santé Canada par opposition à la commercialisation de son médicament sur l'ensemble du marché canadien; et
ii. En vertu des règles de droit commercial, le locus ou lieu où a été effectuée la vente du médicament Thalomid à des patients au Canada est réputé être le New Jersey et, de ce fait, le Conseil, qui est l'organisme chargé d'exercer un contrôle sur les prix des médicaments au Canada, ne peut exercer sa compétence sur le prix du médicament Thalomid.
8. Le personnel du Conseil et Celgene ne s'entendent pas non plus sur la date à partir de laquelle le Conseil pourrait exercer sa compétence sur le prix du médicament Thalomid, en admettant que les deux arguments ci-haut mentionnés ne sont pas admis. Le personnel du Conseil fonde sa position sur une décision récemment rendue par le Conseil selon laquelle il est habilité à rendre une ordonnance corrective concernant les ventes d'un médicament auquel un brevet canadien est lié et ce, à compter de la date à laquelle la demande de brevet a été portée à la consultation publique dans la mesure où un brevet a été attribué au demandeur du brevet. De l'avis de Celgene, si le Conseil a comme il le prétend compétence sur le prix de son médicament Thalomid, il ne peut rendre une ordonnance corrective tant que le Bureau des brevets n'a pas attribué le premier des trois brevets canadiens (en vertu desquels Celgene détient les droits pour le médicament Thalomid).
Ventes faites au titre du Programme d'accès spécial
9. Les différentes dispositions de la Loi qui décrivent les ventes de médicaments brevetés assujetties à la compétence du Conseil font référence aux ventes « sur un marché canadien » ou « sur un tel marché ».
10. Au Canada, les médicaments sont généralement vendus après que Santé Canada a approuvé leur commercialisation au Canada dans le cadre d'un processus de réglementation qui débouche sur l'émission d'un « avis de conformité » pour chaque médicament. L'avis de conformité précise les indications pour lesquelles le médicament peut être commercialisé ou prescrit au Canada.
11. Toutefois, certains médicaments peuvent se révéler efficaces pour traiter des patients souffrant d'une maladie ou d'une condition non spécifiée dans l'avis de conformité ou non approuvée par Santé Canada. C'est précisément en prévision de telles situations que Santé Canada a mis en place en 1966 le Programme d'accès spécial (PAS). Le PAS constitue un processus en vertu duquel un médecin peut demander à Santé Canada d'autoriser le fabricant à vendre un médicament pour traiter une maladie ou une condition non spécifiée dans l'avis de conformité. Telle demande est habituellement faite lorsque d'autres thérapies n'ont pas soulagé le patient, n'ont pas donné les résultats escomptés ou, encore, ne sont pas disponibles sur le marché.
12. Le volume des ventes d'un médicament au titre du PAS n'est pas contingenté et aucune limite n'est imposée quant à la période durant laquelle un fabricant peut distribuer son médicament au titre du PAS. Santé Canada ne peut obliger un fabricant à demander un avis de conformité pour son médicament. Ainsi, si un médicament n'ayant pas obtenu un avis de conformité est vendu au Canada, les ventes doivent être faites dans les limites autorisées par le PAS.
13. Santé Canada doit avoir approuvé la demande de vente du médicament en vertu du PAS pour que le fabricant soit autorisé à vendre son médicament aux fins d'utilisation par le patient pour lequel la demande a été faite ou pour l'essai clinique mentionné dans la demande. Tel que mentionné, l'autorisation en vertu du PAS autorise le fabricant à vendre son médicament au Canada, mais ce dernier n'est pas tenu de le faire. Le médicament ne sera vendu au Canada que si son fabricant accepte de le vendre et si le médicament est disponible.
14. En 1998, la Food and Drug Administration (la « FDA ») des États-Unis a approuvé le médicament Thalomid pour le traitement de la lèpre. Plus récemment, il est apparu que le médicament Thalomid pouvait retarder la progression du myélome multiple, une forme de cancer et, en 2006, la FDA a approuvé l'utilisation du médicament Thalomid pour le traitement de ce trouble pathologique.
15. En 2006, le médicament Thalomid était le médicament le plus souvent commandé au titre du PAS. Il a en effet fait l'objet d'environ 4 500 autorisations en vertu du PAS.
16. Celgene est d'avis que ses ventes à des acheteurs canadiens ne sont pas des ventes « sur un tel marché » du fait qu'aucun avis de conformité n'a été attribué à son médicament et que l'avis de conformité constitue légalement une condition préalable à la commercialisation d'un médicament au Canada. Selon Celgene, étant donné qu'il n'effectue aucune activité de « commercialisation » de son médicament Thalomid au Canada et, plus particulièrement, que la Cour fédérale a défini ce mot dans un autre contexte, on ne peut prétendre que Celgene vend son médicament sur « un marché canadien » au sens que la Loi sur les brevets donne à cette expression. Autrement dit, Celgene considère que tant qu'un avis de conformité n'a pas été attribué à son médicament, celui-ci ne peut être réputé vendu sur un marché canadien et ce, sans égard aux ventes faites au titre du PAS.
17. Le personnel du Conseil exprime un point de vue opposé. Selon le personnel du Conseil, la compétence qu'exerce Santé Canada sur les ventes du médicament Thalomid et sur l'administration du PAS démontre que les ventes du médicament Thalomid sont des ventes sur un marché canadien. Un régime de réglementation canadien (le PAS de Santé Canada) supervise et contrôle les ventes du médicament Thalomid aux acheteurs canadiens et, de ce fait, dans le contexte de la Loi, ces ventes doivent être considérées comme des ventes « sur un marché canadien ».
18. À l'appui de cette position, le personnel du Conseil indique que l'article 3 du Règlement sur les médicaments brevetés, 1994 (le « Règlement »), le règlement d'application de la Loi, prévoit expressément que les brevetés doivent fournir au Conseil les données sur leurs ventes à la date de l'attribution de l'avis de conformité ou suite à la première vente effectuée au Canada, soit la première de ces deux éventualités, ce qui donne à penser que le gouverneur en conseil n'a pas posé l'avis de conformité comme une condition préalable pour que le médicament soit assujetti à la compétence du Conseil :
3. (1) Pour l'application des alinéas 80(1)(a) et 80(2)(a) de la Loi, les renseignements identifiant le médicament doivent indiquer ...
(2) Les renseignements visés au paragraphe (1) doivent être fournis :
(a) soit si un avis de conformité a été délivré pour le médicament;
(b) soit si le médicament est offert en vente au Canada.
(3) Les renseignements visés au paragraphe (1) doivent être fournis, selon la première de ces éventualités suivantes :
(a) dans les 30 jours suivant la date à laquelle le premier avis de conformité est délivré pour le médicament;
(b) dans les 30 jours suivant la date à laquelle le médicament est offert en vente au Canada pour la première fois.
19. Le Conseil partage l'avis que l'administration des ventes du médicament Thalomid par Santé Canada constitue un des indices que les ventes de ce médicament sont faites sur un marché canadien, dans le sens que la Loi donne à cette expression. Chaque élément de chaque vente du médicament Thalomid à des acheteurs canadiens est contrôlé par Santé Canada. Le Conseil estime également que les ventes faites au titre du PAS ont été effectuées sur un marché canadien pour les raisons mentionnées ci-après.
20. La question à savoir si une vente d'un médicament est une « vente sur un marché canadien » au sens qu'en donne la Loi se résume à une question d'interprétation de la Loi dans la perspective d'une compétence spécialisée du Conseil. En ce qui concerne le mot « marché » dans l'expression « dans un marché canadien », le Conseil est d'avis que ce mot n'a pas été choisi dans le but de limiter la compétence du Conseil aux ventes de médicaments commercialisés au Canada. Les mots « un marché » ont été utilisés dans la Loi afin de donner au Conseil la latitude dont il a besoin pour exercer un contrôle sur le prix d'un médicament au Canada dans son ensemble ou sur des marchés ponctuels tels que des marchés définis par des descriptions géographiques ou politiques (régions, provinces ou territoires, par exemple) ou par des catégories de clients (hôpitaux, pharmacies, etc.). À cet égard, le panel d'audience (le « Panel ») note que les données sur les ventes annuelles et sur les prix des médicaments que les brevetés doivent soumettre au Conseil sont ventilées par province et par catégorie de clients.
21. Le Conseil estime que les acheteurs qui ont accès à un médicament par le truchement du PAS peuvent être considérés comme un marché ponctuel au Canada dans le même sens que les ventes faites à une catégorie de clients ou, encore, comme une partie du vaste marché canadien pour la vente des médicaments.
22. Dans son analyse de la question, le Conseil tient également compte de son mandat qui est de protéger les intérêts des consommateurs en veillant à ce que les médicaments brevetés ne soient pas vendus au Canada à des prix excessifs. Le Conseil ne voit aucune raison pourquoi les Canadiens qui achètent des médicaments par le truchement du PAS ne bénéficieraient pas de la même protection du Conseil que
les Canadiens qui achètent des médicaments ayant obtenu leur avis de conformité. Même si le volume des ventes faites au titre du PAS est relativement modeste par rapport aux volumes des ventes de médicaments ayant obtenu leur avis de conformité, l'incidence sur les acheteurs individuels est la même sans considération de l'autorisation réglementaire régissant les ventes. En effet, dans la mesure où l'achat par des patients de médicaments dont l'utilisation n'a pas été officiellement approuvée pour leur condition ne se fait pas en grande quantité (par exemple par des hôpitaux, des pharmacies ou des provinces), il ne devrait pas exister une concurrence importante associée à ces ventes. En conséquence, les patients qui achètent les médicaments au titre du PAS peuvent ne bénéficier que d'une protection minimale du marché, sinon d'aucune protection, pour modérer les augmentations des prix des médicaments.
23. Il est aussi raisonnable de conclure que même si les acheteurs canadiens qui achètent leurs médicaments par le truchement du PAS constituent un marché peu important, ils font partie du même marché canadien dans lequel les médicaments ayant obtenu un avis de conformité sont vendus et sur lequel le Conseil exerce une compétence non contestée, à savoir le marché de clients canadiens qui achètent des médicaments brevetés. Le Conseil ne voit dans la Loi aucune indication que le Parlement avait l'intention de soustraire un type de consommateurs de la protection que peut offrir le Conseil.
24. De plus, le Conseil est investi de pouvoirs correcteurs et doit être conscient de l'incidence de son mandat d'interprétation de sa loi habilitante. Le Conseil ne comprend pas pourquoi Celgene a sollicité à la FDA l'autorisation de commercialiser le Thalomid aux États-Unis, mais qu'il n'a pas soumis une demande d'avis de conformité pour le Canada. Il s'ensuit que toutes les ventes du médicament Thalomid au Canada ont été faites, et sont encore faites, au titre du PAS. Au cours des douze dernières années, Celgene a vendu des quantités importantes de son médicament au titre du PAS et le volume de ses ventes est encore en progression, apparemment en raison des bienfaits récemment démontrés du médicament dans le traitement du myélome multiple.
25. Le CEPMB ne peut exercer complètement son mandat s'il ne peut s'assurer que les prix des médicaments vendus au Canada au titre du PAS ne sont pas excessifs. Selon la Loi, les acheteurs canadiens de médicaments au titre du PAS constituent un marché canadien ou une partie d'un marché canadien, ce qui signifie que le Conseil a compétence sur les ventes des médicaments effectuées au titre du PAS et qu'il est habilité à exercer son mandat. L'interprétation suggérée par Celgene – qui n'établit aucune distinction entre les ventes dans un marché et les activités commerciales – ne correspond pas au sens évident de la Loi ni ne cadre avec une interprétation orientée vers un but.
26. Dans l'affaire de ICN Pharmaceuticals c. Canada, un appel visant à faire rejeter une demande de révision d'une décision du Conseil, la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la compétence du Conseil en matière de contrôle des prix des médicaments vendus au titre du PAS (alors connu sous le titre « Programme d'autorisation des médicament d'urgence »). L'article 83 fait référence au breveté « qui vend (un médicament) sur un marché canadien ». ICN a fait valoir que ses ventes au titre du PAS n'étaient pas des ventes d'un « médicament » au sens qu'en donne la Loi du fait que les ventes étaient destinées à des indications non mentionnées dans l'avis de conformité.
27. La Cour d'appel fédérale a rejeté cette définition restrictive du mot « médicament », soutenant qu'une telle définition est incompatible avec l'objet de la Loi en ce sens qu'elle va à l'encontre de la compétence du Conseil sur les ventes au titre du PAS. Alors que l'affaire d'ICN portait sur la définition du mot « médicament » et que la position de Celgene repose sur la définition du mot « marché », le Panel d'audience estime que le raisonnement de la décision dans l'affaire d'ICN qui rejette une définition restreinte du mot « médicament » devrait justifier le rejet d'une définition restreinte du mot « marché ».
Conclusion concernant les ventes faites au titre du Programme d'accès spécial
28. Pour tous ces motifs, le Panel arrive à la conclusion que les ventes d'un médicament faites au titre du PAS sont réputées être des ventes sur un marché canadien au sens qu'en donne la Loi.
Lieu où ont été effectuées les ventes du médicament Thalomid à des patients canadiens
29. Celgene, une société enregistrée au Delaware, a son siège social à Summit, au New Jersey. Pour résumer les éléments de preuve soumis sur ce point, tous les détails de la vente du médicament Thalomid à des patients canadiens sont établis et administrés par le bureau du New Jersey. Celgene a insisté sur le fait que la plupart des factures fournies à des patients canadiens qui ont acheté son médicament Thalomid portaient le tampon «F.O.B. New Jersey ». Par conséquent, selon les règles du droit commun commercial, le New Jersey est le lieu où la vente a été effectuée. Celgene soutient qu'il n'est pas assujetti à la compétence du Conseil du fait du lieu de vente de son médicament à des patients canadiens, le Conseil n'ayant compétence que sur les ventes de médicaments brevetés faites sur « un marché canadien ».
30. Sur ce point, le personnel du Conseil a fait valoir que les ventes sont réputées avoir été faites au Canada, au sens qu'en donne la Loi, parce qu'il s'agit de ventes faites à des Canadiens et qu'elles sont régies par Santé Canada en vertu du PAS.
31. Le Conseil reconnaît la pertinence du point de vue exprimé par le personnel du Conseil et fonde sur les motifs suivants sa conclusion que les ventes du médicament Thalomid à des patients canadiens sont des ventes faites au Canada au sens qu'en donnent les articles pertinents de la Loi.
32. Le Conseil accepte que les principes du droit commun commercial établissent le New Jersey comme lieu où ont été effectuées les ventes du médicament Thalomid à des patients canadiens. Le Conseil ne considère pas cette conclusion sans rapport, mais estime qu'elle ne détermine pas pour autant sa compétence. Le droit commun commercial portant sur le lieu où a été effectuée la vente s'intéresse essentiellement aux questions relatives au lieu physique où le risque associé à la marchandise vendue et à ses coûts de transport passe du vendeur à l'acheteur. Le lieu de la vente peut aussi se rapporter au droit pertinent à l'application des modalités commerciales de la transaction.
33. Cependant, la compétence du Conseil n'est associée d'aucune façon au droit relatif à la manière dont les parties privées ont choisi de partager le risque ou les coûts de transport du produit. La compétence du Conseil n'est pas non plus associée à la façon dont le droit commun établit le choix du droit qui régit une transaction privée de vente d'un produit. Le Conseil est un organisme public investi d'un mandat qui lui est conféré par la Loi et sa compétence découle d'une loi habilitante et des principes de droit public.
34. Considérant le mandat conféré au Conseil qui consiste à protéger les intérêts des consommateurs canadiens en veillant à ce que les médicaments brevetés ne soient pas vendus à des prix excessifs au Canada, les ventes d'un médicament breveté « sur un marché au Canada » au sens qu'en donne la Loi, couvrent les ventes des médicaments régis par le droit public au Canada, qui sont livrés au Canada, qui sont administrés au Canada ainsi que les prix lorsque le coût du médicament est à la charge des Canadiens – qu'il s'agisse de patients ou de contribuables.
35. Manifestement, c'est le libellé de la Loi et non le mandat conféré au Conseil qui crée la compétence, mais l'interprétation orientée dans un but déterminé du libellé de la Loi exige une référence au mandat du Conseil. L'interprétation de l'expression « sur un marché canadien » dans le sens décrit dans le paragraphe précédent sous-tend l'attribution d'un sens raisonnable à l'expression. De fait, il s'agit du seul sens qui peut être attribué à l'expression qui interprète adéquatement la loi habilitante du Conseil.
36. Il convient de préciser que certaines ventes de médicaments brevetés sont faites au Canada à des personnes de l'extérieur du Canada – telles que les ventes effectuées par des sociétés pharmaceutiques canadiennes à des acheteurs européens – et que le lieu où la vente a été effectuée est, d'après le Common Law, le Canada. Le Conseil n'a pas compétence sur de telles ventes et n'essaie d'ailleurs pas d'exercer sa compétence sur celles-ci. Il en est ainsi parce qu'aucune interprétation raisonnable de la Loi confirmerait telle compétence : la Loi n'a pas conféré au Conseil le mandat de protéger les intérêts des acheteurs européens de médicaments brevetés, sans égard au lieu où la vente a été effectuée au sens qu'en donne le Common Law. Dans le Common Law, le lieu où la vente a été effectuée ne crée pas une compétence pour le Conseil même si le lieu de vente est le Canada et, inversement, il ne prive pas non plus le Conseil de sa compétence lorsque le lieu de vente se trouve à l'extérieur du Canada. Le droit commercial concernant la transaction de vente n'est pas pertinent à la compétence du Conseil et ne la détermine pas non plus.
Conclusion concernant le lieu où la vente du Thalomid à des patients canadiens a été effectuée
37. Pour ces motifs, le Panel conclut que les ventes du médicament Thalomid à des Canadiens en vertu du PAS sont des ventes effectuées au Canada au sens qu'en donne la Loi, sans égard au lieu où la vente a été effectuée selon le Common Law se rapportant à la vente de biens commerciaux.
Moment où le médicament devient assujetti à la compétence du Conseil
38. Le premier brevet canadien lié au médicament Thalomid a été porté à la connaissance du public en 1995, mais il n'a été attribué qu'en 2006. Le Panel a pris en considération les arguments sur ce point formulés par Celgene et par le personnel du Conseil ainsi que la décision sur la même question que le Conseil a rendue dans l'affaire du médicament Adderall XR. Même si le présent panel n'est pas lié par les décisions antérieures du Conseil, il estime que la décision dans l'affaire Adderall XR doit être suivie. Le Panel note que, entre l'argumentation formulée pour la présente requête et la publication de la présente décision, la Cour fédérale du Canada a rejeté une requête de révision judiciaire de la décision rendue dans l'affaire du médicament breveté Adderall XR.
Conclusion concernant le moment où le prix du médicament devient assujetti à la compétence du Conseil
En conséquence, le présent panel d'audience arrive à la conclusion que le Conseil est habilité à rendre une ordonnance corrective concernant le prix du médicament Thalomid et ce, à compter du 12 janvier 1995.
Membres du Conseil : Dr Brien G. Benoit
Anne Warner La Forest
Anthony Boardman
Conseiller juridique du Conseil : Gordon Cameron
Sylvie Dupont
Secrétaire du Conseil