Décision : CEPMB-07-D6-QUADRACEL et PENTACEL – Réexamen des mesures correctives
DANS L'AFFAIRE DE LA Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), c. P 4,
dans sa version modifiée
ET DANS L'AFFAIRE DE sanofi pasteur Limitée
(l'« intimée ») et de ses médicaments « Quadracel et Pentacel »
Le 14 juin 2012
DÉCISION
Introduction
1. Les présents motifs se rapportent à une décision prise par le Panel en ce qui concerne l'établissement des prix par le breveté, sanofi pasteur Limitée (« sanofi pasteur »), des vaccins Quadracel et Pentacel (la « décision du Conseil »)1 , notamment en ce qui concerne les mesures correctives du Conseil. La décision du Conseil a été révisée par la Cour fédérale et, selon la décision de la Cour (la « décision de révision »)2 , les motifs de la décision du Conseil n'étaient pas suffisamment clairs et complets. L'affaire a été renvoyée par la Cour au Conseil pour réexamen.
2. Le Conseil a demandé l'avis des parties sur les conséquences de la décision de révision, puis a reçu les observations des parties sur le réexamen de l'affaire par le Panel. Le Panel est d'avis que la décision de révision l'oblige à examiner les questions posées par la Cour dans la décision de révision et à fournir des motifs, fondés sur les éléments de preuve qui ont été entendus dans l'instance originale, qui répondent aux questions posées par la Cour et expliquent la position du Panel sur les questions posées dans la décision de révision, et ce, avec clarté et de façon complète. Le Panel croit qu'il peut le faire de façon assez concise et a tenté de le faire dans les présents motifs.
Analyse
3. Les difficultés que la Cour a éprouvées relativement à la décision du Conseil découlent de l'omission du Panel d'expliquer clairement et entièrement la raison pour laquelle il a rejeté l'argument de sanofi pasteur stipulant que les recettes excessives encaissées par sanofi pasteur à partir des ventes du Quadracel et du Pentacel avant 2007 auraient dû être réduites ou éliminées3 par les ventes de ces médicaments en 2007 et au cours des années suivantes à des prix inférieurs aux prix maximums non excessifs (« prix MNE ») des médicaments. À l'instar de la Cour, le Panel estime ce point n'est pas bien abordé dans les motifs de la décision du Conseil.
4. Le Panel, comme pour tout panel tenant une audience relative à des prix excessifs, devait trancher deux grandes questions (parmi toutes les questions dont il était saisi) : (1) les recettes excessives étaient-elles tirées de ventes de médicaments à des prix excessifs; et (2) le cas échéant, quelle est l'ordonnance appropriée que peut rendre le Conseil relativement aux recettes excessives en question à compenser : un paiement par le breveté à Sa Majesté la Reine du chef du Canada, une réduction des prix des médicaments ou une réduction du prix d'un autre médicament breveté vendu par le breveté?
5. La première question soulève nécessairement des questions de calcul. Il peut y avoir nombre de questions liées à la façon dont le prix MNE du médicament en question devrait être déterminé, mais une fois cette question tranchée, un panel d'audience peut généralement effectuer un calcul relativement simple duquel découle la différence entre les recettes maximales qui auraient dû être tirées et les recettes qui ont été réellement tirées : à part d'autres questions précises, il s'agit des recettes excessives.
6. Une question particulière soulevée dans la présente affaire et dans deux affaires antérieures est celle de savoir si, en chiffrant les recettes excessives, le manque à gagner en recettes provenant des ventes du médicament à un prix inférieur à son prix MNE au cours d'une année donnée devrait réduire ou éliminer les recettes excessives tirées des ventes à un prix supérieur au prix MNE pour une autre année. Ce Panel ainsi que les deux panels antérieurs du Conseil (mentionnés dans la décision du Conseil) ont jugé que cela n'était pas approprié dans les affaires dont ils étaient saisis. Nous aborderons cette question plus en détail plus loin.
7. La deuxième question, soit la façon dont les recettes excessives devraient être compensées par suite d'une ordonnance du Conseil, ne soulève pas nécessairement des questions de calcul. Le paragraphe 83(2) de la Loi sur les brevets (« la Loi ») prévoit que le Conseil, qui estime qu'un breveté a vendu un médicament à un prix qu'il juge excessif, peut lui enjoindre de prendre l'une ou plusieurs des trois mesures décrites aux alinéas 83(2)a) à c) « pour compenser, selon lui, l'excédent qu'aurait procuré au breveté la vente du médicament au prix excessif ».
8. Autrement dit, dès que le Conseil a estimé le montant des recettes excessives, son ordonnance devrait normalement compenser ces recettes au moyen de l'un ou de plusieurs des mesures décrites aux alinéas 83(2)a) à c), et la question à cette étape de l´analyse consiste à déterminer la méthode de compensation la plus appropriée (paiement à la Couronne ou réduction des prix futurs).
9. Le Panel note que le paragraphe 83(2) fait emploi du mot « peut », et le Panel ne va pas jusqu'à dire que le Conseil n'aurait pas compétence pour refuser de rendre une ordonnance ou pour rendre une ordonnance qui ne compensera pas complètement les recettes excessives qui ont déjà été chiffrées. Cependant, en l'absence de raisons de faire autrement, l'ordonnance devrait pleinement compenser les recettes excessives chiffrées par le Panel.
10. Le Panel croit qu'en l'absence de circonstances spéciales, aucune selon le Panel n'existant dans la présente espèce, les choix d'ordonnances correctives d'un panel une fois que des recettes excessives ont été chiffrées sont des choix parmi les méthodes de compensation des recettes et non un exercice consistant à décider s'il y a des motifs pour ne pas rendre une ordonnance corrective ou pour modifier le montant prévu par l'ordonnance. Dans un litige civil, les dommages intérêts constituent une « mesure corrective » et leur calcul fait partie des efforts de la Cour pour rendre une ordonnance corrective, mais ce n'est pas le cas en ce qui concerne la compétence du Conseil en vertu de l'article 83 de la Loi. Les conclusions du Conseil énonçant qu'une certaine quantité de recettes excessives a été tirée démontrent, en l'absence de circonstances spéciales, l'obligation du breveté de compenser ces recettes excessives; la question de redressement du Conseil consiste à déterminer la façon dont cette compensation devrait se faire.
11. Le Conseil estime qu'il s'agit d'une approche plus logique et plus conforme à la structure et au libellé de l'article 83 de la Loi que celle de chiffrer des recettes excessives (si l'on n'envisage pas de réduire les ventes à un prix inférieur au prix MNE), puis de décider si une mesure corrective est justifiée étant donné la preuve des ventes qui auraient réduit ou éliminé les recettes excessives. En tout état de cause, dans la mesure où la position du breveté quant à la question de savoir si les ventes à des prix qui ont réduit ou éliminé les recettes excessives a été correctement examinée, la question peut être traitée équitablement à n'importe quel moment dans le cadre de l'analyse par le Conseil.
12. Dans la présente espèce, il y avait deux raisons pour lesquelles le Panel croyait, lorsqu'il a déterminé s'il y avait des recettes excessives et en les chiffrant s'il y en avait, que le manque à gagner en recettes provenant des ventes à un prix inférieur au prix MNE ne devrait pas réduire ou éliminer les recettes excessives provenant des ventes à un prix supérieur au prix MNE.
13. D'abord, le Panel était d'avis que le gouvernement du Canada aurait dû pouvoir bénéficier du prix MNE pour ses achats au cours des années précédant 2007 et du plus faible prix (inférieur au prix MNE) qu'il a obtenu (en raison du concours qu'il a tenu) pour les achats au cours des années subséquentes. Le gouvernement avait droit à la protection du mandat du Conseil relativement aux prix avant 2007 et avait le droit d´obtenir un plus faible prix à partir de 2007 en lançant un concours dans le cadre de sa stratégie d'achat. Le gouvernement ne bénéficierait pas de ces deux avantages si le manque à gagner en recettes provenant des ventes à un prix concurrentiel était utilisé afin de réduire ou d'éliminer le rétablissement au gouvernement des recettes excessives à partir de celles payées durant des années antérieures à un prix excessif.
14. Ensuite, les Lignes directrices sur les prix (les « Lignes directrices ») du Conseil énoncent les paramètres selon lesquels la réduction des recettes excessives peut avoir lieu : les ventes effectuées au cours d'une année civile. Bien qu'un panel du Conseil ne soit pas lié par les Lignes directrices, celles-ci prévoient à l'égard des brevetés une certitude et une prévisibilité. Le Panel a examiné le caractère approprié des paramètres d'établissement d'un prix moyen dans les Lignes directrices et a conclu qu'ils constituaient une mise en œuvre appropriée de la Loi en général et dans la présente espèce, bien qu'ils ne le soient pas dans chaque affaire. Cela s'explique parce qu'une période d'un an pour l'établissement d'un prix moyen établit un équilibre raisonnable entre (1) le fait d'accorder aux brevetés une certaine souplesse et la possibilité de corriger les recettes inattendues; et (2) le fait d'empêcher les brevetés de vendre leurs produits à des prix excessifs à leur gré et de réduire ou d'éliminer les recettes excessives qui en découlent à un moment qui leur convient dans un avenir indéterminé. Le mandat du Conseil relatif à la protection des intérêts des consommateurs peut permettre ce qui est énoncé en premier lieu, mais serait inexécutable si l'on permettait aux brevetés de faire ce qui est énoncé en dernier lieu.
15. Le Panel a entendu et examiné attentivement les arguments de sanofi pasteur stipulant que les ventes à un prix inférieur au prix MNE dans la présente espèce ont éliminé les recettes excessives provenant des ventes à un prix supérieur au prix MNE. Les éléments de preuve et les arguments présentés sur ce point ont occupé une partie importante de l'audience. Le Panel a conclu que la preuve a démontré que le prix offert par sanofi pasteur dans le cadre de l'achat constituait exclusivement la conséquence de l'achat concurrentiel. À ce titre, il s'agissait d'un avantage auquel le gouvernement avait droit, et les ventes à ce prix ne devraient pas réduire un autre avantage auquel le gouvernement avait droit, soit l'indemnisation des prix excessifs payés avant 2007.
16. Au paragraphe 64 de la décision de révision, la Cour se demande si le Panel était d'avis qu'un breveté ne pouvait prendre aucune mesure en dehors d'un Engagement de conformité volontaire ou d'une ordonnance du Conseil afin de réduire ou d'éliminer les recettes excessives. Comme l'indique le paragraphe 14, le Panel n'est pas de cet avis. Toutefois, les circonstances de la présente affaire ne justifient pas une exception aux paramètres d'établissement d'un prix moyen dans les Lignes directrices.
17. Aux paragraphes 68 et 69 de la décision de révision, la Cour s'est interrogée sur les observations du Conseil formulées au paragraphe 55 de la décision du Conseil au sujet de la réduction des recettes excessives. Au paragraphe 55 de la décision du Conseil, le Panel ne visait pas, par ses commentaires, les faits de la présente affaire, mais plutôt la raison générale pour laquelle l'établissement d'un prix moyen en dehors des limites annuelles permises par les Lignes directrices n'est pas convenable. Le Panel est d'avis, selon les faits de la présente affaire, que le point saillant est que la preuve a démontré que le plus faible prix auquel le gouvernement s'est procuré les médicaments après 2006 constituait un avantage découlant de son processus d'achat concurrentiel qui ne devrait pas réduire l'avantage du rétablissement du prix excessif payé avant 2007.
18. Selon l'approche de sanofi pasteur, il faudrait que le gouvernement renonce à une importante partie de cet avantage en permettant que l'avantage réduise son droit au rétablissement du prix excessif qu'il a payé avant 2007. Le Panel juge que l'approche de sanofi pasteur n'est pas raisonnable ni appuyée par les éléments de preuve.
Conclusion
19. Pour les raisons susmentionnées, le Panel est d'avis que son ordonnance en date du 16 mars 2010 constituait la meilleure mesure corrective en fonction de laquelle les recettes excessives encaissées par sanofi pasteur devraient être compensées. Lorsque la Cour a renvoyé cette affaire au Conseil pour réexamen, la Cour a déclaré que l'ordonnance était un acte nul. En conséquence, le Panel juge convenable de rendre une ordonnance de remplacement appuyée par la décision du Conseil et les présents motifs supplémentaires à la suite du réexamen de l'affaire. Une copie de cette ordonnance est jointe aux présents motifs.
Membres du Conseil :
Dr Brien Benoit
Anthony Boardman
Anne Warner La Forest
Avocat du Conseil :
Gordon Cameron
Comparutions
Pour le personnel du Conseil : David Migicovsky, avocat
Pour l'intimée : Sandra Forbes, avocate
Sylvie Dupont
Secrétaire du Conseil
1 CEPMB-07-D5-Quadracel et Pentacel, daté le 21 décembre 2009
2 Décision de la Cour fédérale – 2011 CF 859
3 Le Panel n'utilisera pas l'expression « rembourser », telle qu'elle est utilisée dans sa décision, afin de réduire le risque de confusion avec le terme « compenser » du paragraphe 83(2) de la Loi sur les brevets, où le terme se rapporte aux ordonnances du Conseil.