CEPMB-99-D2-NICODERM

DANS L'AFFAIRE DE la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, modifiée dans : L.R.C. (1985), ch. 33 (3e supp.), et à nouveau dans : L.C. (1993), ch. 2 ET DANS L'AFFAIRE DE Hoechst Marion Roussel Canada Inc. (intimée) et du médicament Nicoderm

DÉCISION CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU CEPMB – PREMIÈRE PARTIE

Le présent document expose la décision du Conseil concernant deux des quatre motifs invoqués dans la motion de Hoechst Marion Roussel Canada (“HMRC”) par laquelle la société demandait au Conseil d'émettre une ordonnance visant l'annulation de son Avis d'audience du 20 avril 1999 (“Avis d'audience”). HMRC soutient que le Conseil n'a pas la compétence requise pour faire enquête sur les différentes questions mentionnées dans l'Avis d'audience.

A. Introduction

Nicoderm est la marque de commerce d'un timbre transdermique de nicotine qui, lorsque placé sur la peau, libère de la nicotine dans le sang de manière à remplacer la nicotine de la cigarette. Ce timbre est utilisé pour atténuer partiellement les symptômes de sevrage à la nicotine. Ce produit est commercialisé au Canada par HMRC. Le Conseil a émis un avis d'audience afin de déterminer si HMRC a vendu son timbre transdermique Nicoderm à des prix excessifs et, le cas échéant, s'il l'a fait par mégarde ou sciemment, en vertu d'une politique de l'entreprise.

Le Conseil ne peut exercer sa compétence en vue d'empêcher les prix excessifs que sur les médicaments brevetés. L'Avis d'audience présente les allégations du personnel du Conseil concernant les brevets dits associés au Nicoderm ainsi que les prix actuels et antérieurs du Nicoderm. Ces prix sont réputés supérieurs au prix maximal autorisé par les politiques du Conseil à cet égard.

Comme le prévoient les Règles de pratique et de procédure du Conseil, l'Avis d'audience enjoint HMRC de soumettre sa réponse dans un délai de 15 jours. Plutôt que de se conformer à cette exigence, HMRC a déposé un document intitulé “Réponse conditionnelle” dans lequel la société soutient que l'Avis d'audience n'est pas conforme puisqu'il ne fournit pas suffisamment de détails pour lui permettre de bien étoffer sa Réponse.

Le 25 mai 1999, HMRC a déposé un Avis de motion demandant au Conseil de retirer son Avis d'audience. Dans cet Avis de motion, HMRC allègue que le Conseil n'a pas la compétence nécessaire pour émettre un avis d'audience à son encontre. HMRC invoque à l'appui de sa position les quatre motifs sous mentionnés. Le premier motif est que Nicoderm n'est pas un médicament au sens qu'en donne la Loi sur les brevets(la “Loi ”). Le deuxième motif est que la structure et le mode de fonctionnement du Conseil ne lui permettent pas de faire preuve d'impartialité. Le troisième motif est que HMRC ne détient pas les brevets mentionnés dans l'Avis d'audience et qu'un seul de ces brevets mentionnés s'applique au Nicoderm. Enfin, le quatrième motif est que l'Avis d'audience n'est pas suffisamment détaillé pour permettre à HMRC de bien étoffer sa défense.

Le personnel du Conseil soutient pour sa part qu'il doit obtenir accès à certains documents pour être en mesure de répliquer aux premier et troisième motifs invoqués par HMRC. HMRC a refusé de produire ces documents et ainsi le personnel du Conseil a soumis une motion distincte qui fera l'objet d'une décision distincte par le Conseil. Toutefois, dans l'intervalle, le Conseil a reçu les éléments de preuve et l'argumentation concernant les deuxième et quatrième motifs invoqués dans la motion de HMRC. La présente décision — qui constitue en l'occurrence la première partie de la décision du Conseil concernant la motion de HMRC — traite précisément de ces deux motifs.

B. Structure et fonctionnement du Conseil

Il semble indiqué à cette étape-ci du processus de décision de décrire brièvement la structure du Conseil ainsi que les procédures qui régissent son fonctionnement. Les explications plus détaillées se trouvent dans le Compendium des Lignes directrices, politiques et procédures du Conseil (le “Compendium”) déposé aux fins de la du dossier public de cette affaire.

(i) Structure

Comme nous l'expliquerons d'une façon plus détaillée un peu plus loin, le Conseil est tenu par la Loi d'élaborer des politiques en matière de prix des médicaments brevetés, d'exercer un contrôle sur les prix des médicaments brevetés, de faire enquête lorsqu'il semble que le prix d'un médicament breveté soit excessif, et de rendre sa décision lorsqu'il apparaît qu'un médicament breveté a été vendu sur le marché canadien à des prix excessifs.

Le Conseil, en l'occurrence par le truchement de ses membres, est investi en vertu de la Loi sur les brevets du pouvoir de recruter du personnel, d'élaborer des politiques et des procédures sur la façon dont il exercera ses responsabilités pour assurer la plus grande justice et efficacité possibles. Même si la Loi n'établit pas une distinction nette entre le “Conseil” et le “personnel du Conseil”, une partie du processus par lequel le Conseil exerce ses obligations légales repose sur la séparation des fonctions exécutées par le personnel du Conseil (“le personnel du Conseil”) des fonctions qui incombent aux membres du Conseil.

(ii) Fonctionnement

Le Conseil a adopté des politiques sur le mode de détermination du “prix maximal non excessif” d'un médicament breveté. Dans son processus d'élaboration de telles politiques et dans l'exercice de ses activités courantes, le Conseil consulte les intervenants des secteurs pharmaceutique et des soins de santé ainsi que les brevetés intéressés. Les politiques sur les prix sont présentées à titre de “Lignes directrices” qui, elles, font partie du Compendium.

Même si la Loi ne l'oblige pas à le faire, le Conseil a adopté des procédures qui distinguent nettement ses fonctions juridictionnelles de ses fonctions de contrôle et d'enquête. Lorsque le personnel du Conseil se trouve devant un cas où le prix d'un médicament breveté semble supérieur au prix maximal non excessif, il entreprend alors une enquête sur ce prix. S'il arrive à la conclusion que le prix maximal non excessif a été dépassé, le personnel du Conseil invitera le breveté à réduire le prix de son médicament de manière à se conformer aux Lignes directrices et à rembourser les recettes excédentaires perçues durant la période où le prix de son médicament était supérieur au prix maximal autorisé. Ce processus est plus amplement décrit ci-après à la rubrique “Engagement de conformité volontaire”. Si la situation n'est pas régularisée, le personnel du Conseil peut recommander au Président du Conseil de soumettre le cas à l'examen d'un panel constitué par des membres du Conseil dans le cadre d'une audience publique.

Avant la tenue de l'audience, aucun membre du Conseil n'est impliqué dans l'enquête menée par le personnel quant aux allégations de prix excessifs d'un médicament, ni informé des résultats de cette enquête, sauf le Président du Conseil dans le cadre de ses fonctions de gestionnaire à titre de chef de la direction, tel qu'énoncé ci-dessous. Les membres du Conseil ne sont informés qu'au moment de l'émission de l'Avis d'audience et sont saisis des éléments de preuve fournis par le personnel qu'au cours de l'audience publique.

Lorsque le personnel du Conseil remet son rapport au Présdient concernant un cas de prix excessifs, le Président, à titre de chef de la directioin du Conseil, prend connaissance du rapport dans le seul but de déterminer si une audience publique servira l'intérêt public. Le Président du Conseil doit alors évaluer, entre autres, si les allégations formulées par le personnel du Conseil, dans l'éventualité où elles seraient fondées, permettront d'établir prima facie si de prix excessifs ont été demandés par le breveté qui relève de la compétence du Conseil. Dans un tel contexte, le Président joue un rôle de cadre supérieur du Conseil qui dirige ses activités et voit à ce que les audiences publiques soient tenues, et ce exclusivement, dans les cas opportuns. Son rôle n'est pas décisionnel et il n'effectue aucune analyse à savoir si les faits allégués par le personnel du Conseil sont ou seront prouvés.

Si le Président du Conseil arrive à la conclusion qu'il est dans l'intérêt public de tenir une audience, le Conseil émet alors un Avis d'audience et le Président constitue un panel de membres qui présideront l'audience. Au cours de l'audience, le personnel du Conseil fera valoir ses arguments voulant que le prix d'un médicament breveté qui relève de la compétence du Conseil soit excessif tandis que le breveté tentera d'infirmer telle allégation. Le panel de membres du Conseil entendra la preuve et rendra sa décision. Tout au cours du processus de l'audience, le panel sera assisté par son propre avocat.

(iii) Engagement de conformité volontaire

Comme nous l'avons vu, lorsque le personnel du Conseil arrive à la conclusion que le breveté a pratiqué des prix excessifs, ce dernier est invité par la directrice - Conformité et Application à se conformer volontairement aux Lignes directrices du Conseil en réduisant le prix de son médicament et en remboursant les recettes excédentaires qu'il a encaissées. Le breveté peut ainsi soumettre un “engagement de conformité volontaire” (“engagement”) qui renferme sa proposition de réduire le prix du médicament et de rembourser les recettes excédentaires perçues de façon à ce que, du point de vue du breveté, toute recette excédentaire perçue à ce jour est remboursée et la perception de recettes excédentaires dans le future est évitée. L'engagement est présenté au Président du Conseil en même temps que le rapport d'enquête rédigé par le personnel du Conseil.

Si le Président arrive à la conclusion que l'engagement ne respecte pas les politiques du Conseil ou qu'il est dans l'intérêt public de tenir une audience publique, le Conseil émet un Avis d'audience dans lequel il reprend les allégations du personnel du Conseil ainsi que l'ordonnance que recommande le personnel du Conseil si les allégations s'avèrent fondées. L'Avis d'audience établit également la date à laquelle se tiendra l'audience ainsi que les procédures qui seront suivies.

C. Partialité du Conseil

(i) Structure du Conseil

Dans sa motion, HMRC soutient que malgré la structure et le mode de fonctionnement du Conseil, la Loi a constitué le Conseil en une entité unique qu'elle a investi de la responsabilité de faire enquête, d'entreprendre des mesures quasijudiciaires et de rendre une décision dans les cas de présomption de pratique de prix excessifs pour les médicaments brevetés. HMRC prétend qu'un risque raisonnable de partialité prévaut, privant ainsi les brevetés du droit d'être jugé d'une façon juste et impartiale.

HMRC ne conteste pas la jurisprudence qui confirme le droit du législateur de créer des tribunaux investis de fonctions qui se chevauchent sans pour autant brimer le droit à un procès impartial. Elle ne conteste pas non plus le fait que la notion de “procès impartial” peut varier selon les droits et les intérêts des parties en cause. HMRC soutient toutefois que les tribunaux fédéraux sont assujettis à la Déclaration canadienne des droits. Ainsi, si de tels tribunaux assument des fonctions qui se chevauchent, comme c'est le cas du Conseil, le droit à un procès ne peut être brimé que si la Loi habilitante prévoit expressément que ces pouvoirs peuvent être exercés en dépit du droit à un procès juste et impartial garanti par l'alinéa 2(e) de la Déclaration canadienne des droits, de dire HMRC.

Après analyse des arguments de HMRC et du personnel du Conseil concernant ce point, le Conseil est arrivé à la conclusion que HMRC interprète mal, dans son argumentation, la logique et les conséquences de la jurisprudence. Le Parlement n'a pas adopté les dispositions de la Loi qui créent le Conseil en tenant pour acquis que le chevauchement des fonctions du Conseil aurait pour effet de priver les brevetés de leur droit à un procès juste et impartial. La jurisprudence confirme que le caractère impartial d'un procès varie selon les droits et les intérêts en cause, et que le Parlement est habilité à créer un tribunal et à le doter des caractéristiques requises pour assurer l'exercice adéquat des obligations dont l'investit la Loi tout en ne brimant pas le droit à une audience impartiale.

Le Conseil ne réglemente que les intérêts purement économiques des brevetés qui relèvent de sa compétence. Il s'agit dans les faits d'un tribunal expert qui conçoit et applique des politiques de soins de santé qui régissent le secteur pharmaceutique, et plus particulièrement qui préviennent les prix excessifs pour les médicaments brevetés. Il s'agit selon la jurisprudence du type de tribunal que le Parlement peut créer sans pour autant brimer le droit à une audience impartiale.

La réponse à l'argument de HMRC est qu'en créant le Conseil, le Parlement n'a pas brimé les droits des brevetés à une audience impartiale au point où la Loi doit expressément prévoir la clause «nonobstant» les dispositions de la Déclaration canadienne des droits. Le Parlement a plutôt voulu créer un tribunal qui assure aux brevetés le droit à une audience impartiale considérant les droits et les intérêts en cause. Il n'existe aucune violation de la Déclaration canadienne des droits qui doit être visée par une clause «nonobstant».

(ii) Fonctionnement du Conseil

HMRC a aussi fait valoir que le Conseil avait dépassé la limite de chevauchement autorisée par la Loi si l'on en juge par la manière dont il a exercé ses obligations légales dans la présente cause. HMRC a formulé quatre arguments à l'appui de ses prétentions.

1. La nature «concluante» des allégations du personnel du Conseil suite à son enquête sur le prix du Nicoderm

HMRC reproche à la directrice - Conformité et Application d'avoir formulé des «conclusions» sur les questions devant être soumises à la décision du Conseil dans la communication des observations du personnel du Conseil concernant le prix du Nicoderm. HMRC soulève cette question comme si elle devait s'ajouter à la plainte générale concernant le chevauchement des fonctions du Conseil, bien que le Conseil considère que cette question découle de la plainte générale.

Les conclusions formulées dans la corresopndance adressée à HRMC pour l'informer d'abord des résultats préliminaires et ensuite des résultats définitifs de l'enquête sur le prix du Nicoderm étaient celles de la Directrice de la Conformité, qui fait partie du personnel du Conseil. Ces résultats sont résumés dans l'Avis d'audience à titre d'allégations du personnel du Conseil que le Conseil devra considérer dans le cours de l'audience.

Le Conseil ne voit rien d'irrégulier à ce que le personnel du Conseil présente les résultats de son enquête sous la forme de conclusions. Le personnel du Conseil a effectué une enquête dans le but bien précis de déterminer s'il se trouve à première vue devant un cas de prix excessifs par un breveté qui relève de la compétence du Conseil. Dans sa lettre, la directrice - Conformité et Application informait HMRC des résultats de l'enquête effectuée par le personnel du Conseil et avisait officiellement HMRC que son cas serait porté à la connaissance du Président afin qu'il détermine s'il y a lieu d'émettre un Avis d'audience.

Les résultats de l'enquête du personnel du Conseil auraient pu être formulés dans des termes tels que “Le personnel du Conseil estime que les faits présentés en preuve à l'audience tenue sur ce cas permettront de conclure que ... “, mais telle formulation est implicite considérant le fonctionnement du Conseil et le contexte dans lequel ces énoncés ont été formulés. Cette lettre visait simplement à informer HMRC des conclusions de l'enquête et il était tout à fait approprié que ces conclusions soient formulées en termes non ambigus afin que HMRC puisse y répliquer en toute connaissance de cause.

Le test utilisé pour déterminer s'il y a risque raisonnable de partialité est le suivant :

"Quelle serait la conclusion d'une personne informée appelée à analyser la question d'une façon réaliste et pratique".1

Comme nous l'avons vu, étant donné que les conclusions n'ont pas été tirées par le panel du Conseil appelé à trancher la question, mais plutôt par le personnel du Conseil, il n'existe pas de l'avis du Conseil un risque de partialité.

2. Le Président a «prédéterminé les questions factuelles importantes» en rejetant l'engagement de conformité volontaire

HMRC soutient que lorsque le Président a considéré la proposition d'engagement de conformité volontaire soumise par HMRC avant d'opter pour une audience publique, il est sûrement arrivé à la conclusion que l'engagement ne correspondait pas aux politiques du Conseil. Ce faisant, HMRC soutient que le Président prédéterminait ainsi les questions factuelles importantes qui auraient dû être déterminées dans le cadre de l'audience publique.

La plainte révèle une mauvaise compréhension des politiques et des procédures du Conseil, et plus particulièrement des raisons qui pourraient amener le Président à opter pour une audience publique même si HMRC a soumis une proposition d'engagement de conformité volontaire.

Comme on peut le lire dans le Compendium, le Président évalue la pertinence d'un engagement de conformité volontaire en fonction de la mesure dans laquelle le breveté se conforme aux Lignes directrices du Conseil sur les prix excessifs et peut décider de tenir une audience publique s'il ne s'y conforme pas. Toutefois, le Président peut également ordonner une audience publique lorsqu'il considère que, pour une raison ou pour une autre, une telle audience sert mieux les intérêts publics, notamment lorsqu'il juge que la question devrait faire l'objet d'un débat et qu'il y a lieu de tenir une audience publique pour permettre au personnel du Conseil, au breveté et aux autres parties intéressées d'exprimer leurs points de vue concernant l'allégation de prix excessifs. Comme nous le verrons dans la prochaine section, le Président n'est appelé à cette étape-ci qu'à juger si les allégations formulées par le personnel du Conseil, si elles se révélaient fondées, permettraient à première vue de conclure à un cas de prix excessifs. Les témoignages présentés à l'audience peuvent, ou ne peuvent pas, confirmer les allégations. Il peut s'ensuivre une divergence d'opinions entre personnes raisonnables à savoir si l'engagement saura permettre au breveté ou ne lui permettra pas de se conformer aux Lignes directrices du Conseil ou si les Lignes directrices (qui ne sont que présomptives) sont appropriées. Donc, le Président peut juger opportun de donner aux différentes parties intéressées, y compris aux ministres de la Santé des provinces, aux assureurs dans le domaine des soins de la santé et aux consommateurs (qui paieront en bout de ligne le prix du médicament établi en vertu de l'engagement) l'occasion d'exprimer publiquement leurs points de vue sur la question.

La décision du Président d'émettre un Avis d'audience ne postule aucune conclusion quant au mérite du cas faisant l'objet de l'audience. Il s'agit simplement du point de vue du Président agissant à titre de chef de la direction qu'il est dans l'intérêt public qu'une audience publique soit tenue. Le Conseil conclut donc qu'aucune personne informée ne peut raisonnablement craindre la partialité d'une décision parce que le Président a choisi de tenir une audience publique même si le breveté, en l'occurrence HMRC a soumis un engagement de conformité volontaire.

3. Le Président, qui après avoir lu le rapport du personnel du Conseil et l'engagement de conformité volontaire et décidé de tenir une audience publique, ne devrait pas siéger au sein du panel de membres du Conseil qui entendra la cause

Comme nous l'avons mentionné précédemment, le Président prend connaissance du rapport du personnel du Conseil dans l'unique but de déterminer s'ilest dans l'intérêt public d'ordonner la tenue d'une audience publique. Dans le cours de son évaluation, le Président tente de voir si les allégations formulées par le personnel du Conseil, dans l'éventualité où elles seraient fondées, confirmeront à première vue un cas de prix excessifs par un breveté qui relève de la compétence du Conseil. Le Président n'effectue toutefois aucune analyse qui l'amènerait à conclure si les faits invoqués sont ou seront confirmés. Ainsi le fait que le Président ordonne la tenue d'une audience publique après avoir pris connaissance de l'engagement de conformité volontaire du breveté ne nous permet pas de conclure à une prédétermination du bienfondé de la cause.

Considérant le rôle du Président à titre de chef de la direction, la structure et le mode de fonctionnement du Conseil ainsi que son mandat de tribunal expert qui conçoit et qui applique les politiques pertinentes, le Conseil estime qu'il est à la fois utile et approprié que son Président participe aux audiences publiques. Considérant l'objet limité de l'examen du rapport du personnel du Conseil et de l'engagement de conformité volontaire, le Conseil estime qu'il n'y a pas lieu de craindre que le Président fasse preuve de partialité lorsqu'il siège au sein du panel dans le cadre des audiences publiques.

4. Le Président n'a pas fait preuve d'équité procédurale à l'endroit de HMRC dans son évaluation de la proposition d'engagement de conformité volontaire

Étant donné que l'acceptation par le Président de l'engagement de conformité volontaire aurait automatiquement mis fin aux procédures entamées à l'encontre de HMRC, HMRC estime qu'elle aurait dû pouvoir présenter son argumentation au Président, pour lui démontrer que son engagement lui aurait permis de se conformer aux Lignes directrices du Conseil sur les prix excessifs.

Ici encore, la considération par le Président de l'engagement de conformité volontaire ne détermine aucunement les droits du breveté dans la cause. La décision du Président de tenir une audience publique ne cause pas un préjudice au breveté, si ce n'est que la question sera présentée et évaluée dans un cadre public plutôt qu'à l'interne, à savoir par le Conseil lui-même. Dans la mesure où des informations de nature confidentielle font partie d'une audience publique, la Loi et les Règles du Conseil protègent bien les intérêts du breveté.

Il convient ici de préciser que HMRC peut en tout temps au cours de l'audience publique soumettre son engagement de conformité volontaire original ou tout autre engagement, et présenter son argumentation en faveur de son acceptation.

Ainsi le Conseil ne croit pas avoir manqué d'équité procédurale à l'endroit de HMRC lorsque le Président a décidé de tenir une audience publique sans avoir entendu au préalable les représentantions de HMRC quant à son engagement de conformité volontaire.

D. Exhaustivité de l'Avis d'audience

(i) Introduction

HMRC s'est aussi plaint que l'Avis d'audience émis à son encontre ne contenait pas suffisamment de détails pour lui permettre de bien étoffer sa défense.

Brièvement, l'Avis d'audience (y compris les annexes 5 et 6) :

  1. énumère et décrit les brevets que le personnel du Conseil associe au Nicoderm
  2. fournit les motifs et les précisions relatives au prix maximal non excessif que le Conseil a établi pour le Nicoderm
  3. décrit l'information à laquelle le personnel du Conseil a actuellement accès concernant les prix auxquels le Nicoderm a réellement été vendu
  4. à la lumière de l'information fournie aux alinéas (b) et (c), allègue que les prix réels du Nicoderm sont supérieurs au prix maximal non excessif et que, partant, HMRC a encaissé des revenus excessifs
  5. dans l'ordonnance proposée par le personnel du Conseil, indique que le personnel du Conseil préconise que le prix du Nicoderm soit porté au prix maximal jugé non excessif et que les revenus excessifs soient remboursés. Si le Conseil arrive à la conclusion que HRMC a pratiqué sciemment une politique de prix excessifs, que HRMC soit tenue de verser une amende à la Couronne pouvant représenter jusqu'au double des revenus excessifs perçus.

L'Avis d'audience présente également l'ordonnance et les échéanciers des procédures de l'audience publique.

(ii) Objet de l'avis d'audience

L'Avis d'audience est la première étape, et la plus générale, à laquelle HMRC a été saisie du “cas qu'elle doit défendre”. Il présente les allégations du personnel du Conseil concernant les “faits matériels” du cas ainsi que l'ordonnance que le personnel du Conseil recommande au Conseil de prononcer. Cet avis permet à HMRC d'étoffer sa défense vis-à-vis les allégations et l'ordonnance. L'objet de l'Avis d'audience est donc de déterminer à l'avance les problèmes qui seront discutés au cours de l'audience ainsi que les points d'achoppement et de conciliation possibles entre le personnel du Conseil et HMRC.

Après dépôt par HMRC de sa réponse, le personnel du Conseil dépose ses témoignages dans lesquels sont décrits dans leurs moindres détails tous les faits allégués. Le personnel du Conseil a accepté de recevoir par écrit les interrogatoires de HMRC et d'y répondre avant que HMRC ne soit tenue de déposer ses témoignages. À cette étape (mais bien évidemment sous réserve d'un contre-interrogatoire des témoins du personnel du Conseil), HMRC connaîtra les moindres détails du cas. Ce n'est qu'à ce moment que HMRC doit déposer ses témoignages écrits. Ces témoignages ne seront pas discutés avant que HMRC n'ait terminé son contre-interrogatoire quant à la preuve fournie par le personnel du Conseil. Ce faisant, HMRC connaîtra dans ses moindres détails le «cas qu'elle doit défendre» et aura amplement la possibilité de le faire au cours de l'audience.

(iii) Position de HMRC

D'une façon générale, les représentations de HMRC sur cette partie de sa motion se sont résumées à une plainte générale et plusieurs fois réitérée selon laquelle l'Avis d'audience n'était pas suffisamment détaillé. Sauf dans un cas, HMRC a passé sous silence les détails ou les types d'information dont elle aurait besoin pour lui permettre d'étoffer sa réponse.

HRMC s'est plaint du manque d'exhaustivité d'un seul aspect de l'Avis d'audience et une toile de fond (tel qu'on retrouve dans le Compendium) est nécessaire pour replacer cet aspect dans le bon contexte.

Le Conseil établit un prix maximal non excessif pour chaque forme posologique de chaque médicament breveté qui relève de sa compétence. À cette fin, il utilise les politiques présentées dans le Compendium. Un breveté peut présumer que les ventes à ce prix maximal non excessif ne seront pas jugées excessives par le Conseil. Cependant, un breveté peut contester le prix maximal non excessif et dans un tel cas, le personnel du Conseil doit défendre son prix maximal non excessif dans le cadre de l'audience publique qui s'ensuit.

HMRC soutient que le personnel du Conseil allègue simplement dans l'Avis d'audience que le prix du Nicoderm est supérieur au prix maximal non excessif sans donner les raisons pour lesquelles ce prix a été jugé excessif. HMRC a affirmé dans son argumentation qu'elle n'avait pas l'information requise pour répondre à cette allégation.

De fait, dans les paragraphes 11 à 15 de l'Avis d'audience, le personnel du Conseil justifie le prix maximal non excessif établi pour le Nicoderm et le présente comme le prix de référence approprié pour déterminer si le prix du Nicoderm est ou non excessif. Autrement dit, même si le prix maximal non excessif est purement une présomption, le personnel du Conseil a justifié la manière dont il a établi ce prix et maintenant le justifie. Le personnel du Conseil devra s'acquitter du fardeau de la preuve à cet effet et HMRC aura alors la possibilité de vérifier et de réfuter l'information fournie si elle souhaite le faire.

Aux fins de la réponse de HMRC, il ne faut à cette étape-ci qu'une déclaration de HMRC à savoir qu'elle accepte ou conteste la position du personnel du Conseil sur le prix maximal non excessif du Nicoderm avec motifs à l'appui de sa position. HMRC aura accès à tous les éléments de preuve du personnel du Conseil concernant ce point avant qu'elle ne soit tenue d'étayer sa position.

(iv) Intégration de la lettre du 21 septembre 1998

Dans son argumentation sur ce point, l'avocat représentant le personnel du Conseil a fait valoir que le dossier produit sur la motion a démontré que le prix du Nicoderm fait depuis un certain temps l'objet de réunions, de conversations et d'un échange de lettres entre HMRC et le personnel du Conseil. De plus, l'engagement de conformité volontaire soumis par HMRC portait essentiellement sur le prix du Nicoderm dans le contexte du prix maximal non excessif. Pour ces motifs, l'avocat représentant le personnel du Conseil a émis certaines réserves quant à la prétendue perplexité exprimée par HMRC de cette question.

Quoi qu'il en soit, le personnel du Conseil a accepté que les allégations formulées dans la lettre du 21 septembre 1998 de Mme Reinhard (document 2 de la documentation soumise par HMRC sur cette motion) soient considérées comme des détails de l'Avis d'audience.

(v) Conclusion

Le Conseil conclut que, considérant les fins poursuivies, l'Avis d'audience était suffisamment détaillé au moment de son émission. HMRC aurait pu et aurait dû se conformer aux exigences des Règles du Conseil en déposant une réponse valable dans les délais prévus dans l'Avis d'audience. Ainsi, si l'on tient compte de l'information supplémentaire que lui a fournie le personnel du Conseil, HMRC n'a aucune excuse pour ne pas soumettre sa réponse dans le délai imparti de 15 jours suivant la date de la présente décision, donc au plus tard le 18 août 1999, comme le Conseil l'enjoint de le faire.

E. Conclusion

Pour les motifs susmentionnés, le Conseil conclut que les points évoqués aux paragraphes 6, 7 et 9 de l'Avis de motion ne limitent pas la compétence du Conseil dans la présente affaire.

Le Conseil devra maintenant se pencher sur les autres points de la motion de HMRC (paragraphes 5 et 8 de l'Avis de motion) dans la deuxième partie de ses délibérations. L'échéancier est le suivant :

HMRC doit signifier d'ici le 10 septembre 1999 son témoignage par affidavit ainsi qu'un résumé de tout témoignage d'expert dont il entend se servir pour justifier sa motion

Le personnel du Conseil doit signifier d'ici le 24 septembre 1999 son témoignage par affidavit ainsi qu'un résumé de tout témoignage d'expert dont il entend se servir pour faire valoir son opposition aux motifs de la motion

Les deux parties devront d'ici le 1er octobre 1999 informer la partie adverse et le Conseil de son intention de contre-interroger ou de ne pas contre-interroger la partie adverse sur son témoignage par affidavit.

Chaque partie devra déposer avant le 15 octobre 1999 un factum et un dossier d'autorités.

La motion sera entendue au cours de la semaine du 25 octobre 1999.

Les parties doivent remettre au Conseil cinq copies de tous les documents qu'ils déposent et en faire parvenir une autre copie à l'avocat du Conseil.

Membres du Conseil :

Robert G. Elgie, président
Réal Sureau
Anthony Boardman
Ingrid Sketris

Avocat du Conseil :

Gordon K. Cameron

Sylvie Dupont-Kirby
Secrétaire du Conseil

Le 3 août 1999

1 Comité pour la Justice et la liberté c. Office nationale de l'énergie , [1978] 1 S.C.R. 369, pp 394-395.

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