CEPMB-99-D4-NICODERM
DANS L'AFFAIRE DE la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985),
ch. P-4, modifiée par : L.R.C. (1985), ch. 33 (3e suppl.), et
à nouveau par : L.C. 1993, ch. 2
ET DANS L'AFFAIRE DE Hoechst Marion Roussel Canada Inc. (intimée)
et du médicament Nicoderm
DÉCISION CONCERNANT LA COMPÉTENCE DU CEPMB
– DEUXIÈME PARTIE
ORDONNANCE PROVISOIRE
Introduction
Le Conseil a reçu des éléments de preuve et entendu l'argumentation se rapportant à la deuxième partie de la requête de Hoechst Marion Roussel Canada (« HMRC ») contestant la compétence du Conseil. Le Conseil rend la présente ordonnance provisoire dans le but de permettre aux parties en cause de présenter leurs éléments de preuve et leur argumentation concernant deux points bien précis qui, de l'avis du Conseil et probablement aussi de celui des parties, vu l'état de l'instance, exigent de plus amples éléments de preuve et une argumentation plus étoffée.
1. Le brevet 1,331,340 ('340)
Pour les motifs qui seront, au besoin (selon les conclusions du Conseil sur d'autres questions) dévoilés dans la décision du Conseil concernant la requête de HMRC, le Conseil souhaite donner au personnel du Conseil et à HMRC la possibilité de présenter leurs éléments de preuve quant à la question de savoir si, au-delà de la description du brevet ‘340, le brevet ‘340 s'applique au Nicoderm. À cette étape-ci, le Conseil souhaite déterminer si, d'un point de vue scientifique, la nicotine forme ou peut former des hydrates cristallisés.
Le Conseil n'a pas l'habitude de réouvrir la preuve dans une cause. Toutefois, dans le présent cas, il est possible que les parties aient étayé leur cause sur la décision ICN en présumant qu'une preuve allant au-delà de la description du brevet ne serait pas jugée nécessaire ou pertinente dans le débat à savoir si le brevet ‘340 vise ou non le Nicoderm. Toutefois, considérant que le Conseil n'est pas encore arrivé à une conclusion sur ce point, il apparaît possible d'alléguer que la portée de certains brevets ne peut être déterminée par la seule description du brevet étant donné que le brevet protège l'invention contre les utilisations qui peuvent en être faites même si elles n'ont pas été spécifiées dans la description du brevet et plus particulièrement les nouvelles utilisations « pouvant être découvertes par des personnes compétentes dans l'art».
Un tel brevet pourrait protéger l'utilisation d'inventions susceptibles d'être utilisées à des fins médicales même si cette possibilité est passée sous silence dans la description du brevet. Cette dernière question n'a pas été soulevée au cours de l'audience sur la requête de HMRC et le Conseil est d'avis que son analyse pourrait être plus complète si chaque partie lui soumettait un mémoire sur cette question ainsi que des éléments de preuve sur la question de fait concernant la formation d'hydrates cristallisés dans la nicotine.
Étant donné que HMRC a déjà soumis certains éléments de preuve sur la question de fait, le Conseil estime qu'il est approprié de formuler certains commentaires qui devraient éclairer les deux parties dans l'éventualité où d'autres éléments de preuve sur cette question étaient présentés. Les commentaires qui suivent ne doivent pas être considérés comme une critique des éléments de preuve invoqués par HMRC concernant le sujet en cause. Le Conseil sait gré à HMRC d'avoir donné suite aux demandes d'information du personnel du Conseil à qui il appartient légalement d'établir la preuve et qui a choisi de ne pas produire d'éléments de preuve.
M. Robert M. Gale, un des inventeurs du brevet ‘340, a témoigné d'une façon très prudente (et à raison puisqu'il n'a pas fait de recherche sur ce point), en limitant la portée de ses conclusions concernant la formation d'hydrates cristallisés à ses observations personnelles et à ses lectures scientifiques. Aucun témoin n'a fourni d'éléments de preuve pour démontrer que des raisons scientifiques permettraient de douter de la vraisemblance de l'opinion de l'inventeur, notamment exprimée dans le brevet ‘340, selon laquelle l'invention peut s'appliquer à la nicotine.
La spéculation sur l'utilité possible du brevet ‘340 pour le traitement de la nicotine n'était probablement pas fortuite : les inventeurs avaient de bonnes raisons de croire que la nicotine et les autres substances associées à la nicotine présentaient certaines des propriétés physiques de la scopolamine et que la formation d'hydrates cristallisés était, comme dans le cas de la scopolamine, fort possible.
Le Conseil souhaite que les éléments de preuve qui lui seront présentés soient établis par un chimiste indépendant spécialisé dans les produits médicinaux. Les éléments de preuve devraient comporter un sommaire des recherches effectuées dans la littérature scientifique et dans les bases de données, ainsi que des entrevues avec des scientifiques du domaine, dont ceux de l'industrie pharmaceutique, de Santé Canada et du FDA des États-Unis. Les conclusions de cette étude devront comprendre, entre autres choses, des observations sur les deux points que le Conseil estime pertinents à la présente enquête, à savoir : (1) si des cas de formation d'hydrates cristallisés dans les dispersions liquides de nicotine ont été répertoriés et (2) si, considérant ses propriétés physiques et chimiques, une dispersion liquide de nicotine peut former des hydrates cristallisés.
2. Caractère confidentiel et pertinence des documents et de l'information soumis par HMRC
Dans le cadre de son analyse de la requête de HMRC, le Conseil évalue le caractère confidentiel des mémoires présentés par HMRC et par le personnel du Conseil ainsi que la pertinence des documents et de l'information fournis au personnel du Conseil aux fins de l'enquête menée par le personnel du Conseil et de l'examen de la requête de HMRC par le Conseil.
Au cas où le Conseil ne retiendrait pas les prétentions de HMRC selon lesquelles le Conseil ne tient pas une audience publique et donc l'information et les documents fournis sont confidentiels, ou au cas où il accepterait ces prétentions mais celles-ci seraient, à l'issue d'un examen judiciaire, jugées non fondées, il deviendrait alors nécessaire d'évaluer la question du caractère confidentiel de certains documents et de certains éléments d'information.
HMRC a eu la possibilité de présenter ses éléments de preuve quant au préjudice réel et sérieux que pourrait lui causer directement la divulgation de tout élément de preuve soumis au Conseil au cours de son audience sur la requête de HMRC. HMRC n'a pas soumis d'éléments de preuve sur ce point, mais a invité le Conseil à évaluer lui-même la confidentialité ou à permettre la présentation d'éléments de preuve sur cette question.
Le Conseil ne souhaite pas faire lui-même l'évaluation de la confidentialité de l'information et des documents de HMRC et estime que des éléments de preuve sur ce sujet doivent lui être présentés pour éclairer toute conclusion. Le libellé de l'article 86 de la Loi sur les brevets précise bien que HMRC doit s'acquitter de la charge importante de justifier la dérogation au principe de l'accès public aux questions proposées à l'examen du Conseil.
Cela dit, il semble y avoir eu un malentendu sur ce point entre le personnel du Conseil et HMRC : le personnel du Conseil soutient que HMRC a eu l'occasion de présenter ses arguments concernant le caractère confidentiel de l'information et des documents au cours de l'audience sur la requête, mais ne l'a pas fait. HMRC soutient pour sa part ne pas avoir eu conscience de la nécessité de tels éléments de preuve dans ce contexte.
Le Conseil juge très important d'accomplir son mandat sans compromettre la confidentialité de l'information privative et de l'information commerciale. Le Conseil ne souhaiterait pas divulguer publiquement de tels éléments d'information par suite d'un malentendu entre les parties sur un point de procédure. Le Conseil ne peut accepter l'argumentation du personnel du Conseil selon laquelle HMRC a omis de soumettre des éléments de preuve sur cette question.
Par conséquent, le Conseil acceptera les éléments de preuve et l'argumentation de HMRC concernant le caractère confidentiel et (ou) privilégié de certains documents et éléments d'information ainsi que les éléments de preuve et les arguments constituant la réponse du personnel du Conseil.
Conclusion
Le Conseil estime que les mémoires et éléments de preuve sur ces deux questions peuvent lui être soumis par écrit et que si aucun contre-interrogatoire en présence du Conseil n'est sollicité, il ne sera pas nécessaire de convoquer une autre audience. Quelle que soit la situation, le Conseil espère que les avocats réussiront à s'entendre d'ici le 24 mars prochain sur l'échéancier et le processus pour les prochaines étapes, à défaut de quoi le Conseil rendra l'ordonnance requise.
Membres du Conseil :
Robert G. Elgie, Président
Réal Sureau
Anthony Boardman
Ingrid Sketris
Avocat du Conseil :
Gordon K. Cameron
Sylvie Dupont
Secrétaire du Conseil
Le 13 mars 2000